Sans bruit, l’impulsion automatique du programmateur active l’électrovanne. L’eau sous pression passe et se dirige vers le bulbe. Invisible, inaudible. Les gouttes d’eau perlent aux goutteurs, pour disparaître discrètement dans le sol. Une ETP journalière, multipliée par un coefficient, a été compensée. Calculée en unité « mm » et divisée par le débit cumulé des goutteurs, pour donner une durée d’irrigation (1 mm = 10 m³ par Ha). Par exemple : 10 m³ sur 2500 goutteurs/Ha en 1 L/H, sont apportés en 4 H d’irrigation par jour.
Le travail est fait … mais que s’est-il passé concrètement ? Concrètement, au point de gouttage, la quantité d’eau reçue par le sol lors de cette simple irrigation est supérieure aux précipitations naturelles d’une année entière. Comment le sol gère-t-il ce phénomène surnaturel et répété ?
Sommaire :
1. Le sol fait tout le travail, sous condition
2. Le bulbe goutte à goutte doit être maîtrisé
3. De nouveaux outils pour observer et piloter le bulbe
4. Le conseiller numérique en irrigation
1. Le sol fait tout le travail, sous condition
Dans le sol, l’eau est naturellement sous tension ou dépression, sauf à saturation. Cette tension naturelle, s’échelonnant par exemple entre 0 cb au centre du bulbe (excès) jusqu’à 80 cb à sa périphérie (sec) est du même ordre de grandeur que la pression positive dans la gaine goutte à goutte, ce qui donne une idée de l’énergie potentielle en jeu au sein du sol (100 cb = 1 bar).
Les racines absorbent l’eau, faisant monter la tension de l’eau dans le sol. Ce gradient de tension aspire l’eau de proximité, qui se trouve à tension plus faible. De proche en proche, un gradient se crée.
Cette pompe permanente et gratuite, efficace dans toutes les directions, provoque des ré-équilibrages incessants des zones de plus forte humidité vers les zones de plus faible humidité. Le poids de l’eau est négligeable au regard des forces de succion. L’eau se trouve en apesanteur, comme un astronaute dans sa capsule. Son déplacement est donc aisé dans tous les sens.
La pompe permet l’aspiration des précipitations par la surface du sol, car l’eau descend rarement par son propre poids. Cette pompe naturelle actionne également les remontées capillaires. La conséquence, par exemple, est qu’un enracinement de 50 cm de profondeur peut profiter de cette mèche, capable de faire remonter de l’eau de plus d’un mètre de profondeur.
Potentiellement, 50 cb de tension = 5 m de hauteur manométrique. Latéralement, le sol-pompe génère le bulbe goutte à goutte, objet de notre attention.
C’est donc le sol lui-même qui fournit tout le travail, à condition que la pompe soit en bon état, c’est-à-dire que la structure du sol lui-même soit est en bon état. Quand c’est le cas, le sol déplace l’eau. Mais le pire ennemi de la bonne structure du sol est l’excès d’eau. L’excès, c’est-à-dire l’eau libre en charge, déstructure le sol, c’est alors l’eau qui déplace le sol.
L’autre condition : que la pompe soit amorcée, c’est-à-dire que le sol ne soit pas trop sec. La pompe-sol fonctionne donc sur une plage bien définie, selon une courbe débit/pression précise, notion que les hydrauliciens connaissent bien. Les sondes tensiométriques sont des manomètres (précisément des vacuomètres) piqués à plusieurs endroits stratégiques de la pompe-sol dans le gradient de tension de plusieurs bulbes goutte à goutte.
2. Le bulbe goutte à goutte doit être maîtrisé
Nommée Zone d’Influence du Goutteur (ZIG) par Carole Isbérie et Al *, on peut la représenter comme les écailles charnues d’un oignon qui seraient les gradients de tension à partir de la zone saturée à basse tension au point de gouttage vers la périphérie du bulbe, située classiquement de 30 à 50 cm plus loin, et qui se trouve à tension élevée. L’eau se trouve aspirée vers la périphérie du bulbe, en période d’assèchement, bien entendu.
En fonction des conditions de sol, d’enracinement et surtout du pilotage des doses/fréquences par l’irrigant, le bulbe obtenu prend des formes très variables, dont le rayon peut varier de 10 cm à 1 m.
Le bulbe est le résultat du travail conjoint du sol et de l’irrigant, dont l’intérêt est de maîtriser un bulbe sain et constant. En effet, il faut éviter que les racines qui travaillent activement, ne se retrouvent un jour dans l’excès, un jour dans le sec.
Par exemple, ce genre de bulbe, en forme d’enclume à l’envers, provoqué par des doses excessives, inflige une double peine à l’enracinement : trop sec en surface et trop humide en profondeur. L’observation depuis la surface du sol, à part dans le cas du ruissellement, ne permet de détecter aucune de ces situations, bonnes ou mauvaises.
Il faut également éviter des salinités excessives, nuisibles au fonctionnement des racines. L’ennemi potentiel invisible en irrigation goutte à goutte est donc clairement l’excès d’eau. Éventuellement l’excès de salinité.
De nouveaux outils pour observer et piloter le bulbe :
La tensiométrie, technique basique d’observation du comportement du sol, a franchi une nouvelle étape intéressante, sous l’impulsion de Challenge Agriculture, entreprise innovatrice, spécialisée sur cette technique depuis 30 ans.
Le Monitor R2-DX-smart, en version échographie du bulbe goutte à goutte, pilote directement les électrovannes. L’idée est simple : un programmateur fait tout, mais ne sait rien, alors que les sondes savent tout, mais ne font rien. La ‘’smart irrigation’’ est le couplage des deux.
L’échographie du bulbe est une technique d’observation basée sur 16 sondes tensiométriques, positionnées sur 4 bulbes différents, qui génère une vidéo du bulbe sur le Web en temps réel, ainsi qu’un graphe à 8 médianes.
Le dispositif « smart » prend une décision oui/non d’ouverture d’électrovanne, à chaque irrigation pré-programmée. Pour cela, il compare les médianes aux seuils tensiométriques définissant le bulbe et maintient automatiquement un bulbe sain et constant, quelles que soient les consommations fluctuantes du complexe plante-sol-climat.
Il rend compte également des volumes d’eau optimisés et permet au passage de surveiller le réseau hydraulique, aspect non négligeable sur l’exploitation agricole. Ce dispositif et sa méthodologie ouvre également la voie à un nouveau type d’expérimentation en temps réel.
4. Le conseiller numérique en irrigation
Ces nouvelles techniques d’optimisation du goutte à goutte peuvent amener de fortes évolutions, voire des ruptures dans les pratiques de l’irrigant. Elles ont vu naître un nouveau métier d’accompagnement en irrigation.
Mon Expérience de conseil numérique en irrigation goutte à goutte – Hervé Henry – L’Arc-en-Ciel
Le numérique a ouvert de nouveaux horizons dans le conseil en irrigation, permettant de suivre de nombreuses parcelles en temps réel, de poser un conseil hebdomadaire, de surveiller au passage le fonctionnement du réseau hydraulique, de proposer un pilotage individuel qui tend vers la précision, à un prix abordable pour le producteur.
Cependant, aucun conseil d’aide à la décision, posé dans la boîte de dialogue en ligne, en dessous des graphes, n’est possible sans la connaissance de la parcelle, du producteur, de ses habitudes et des contraintes du réseau hydraulique.
Le travail de conseil en irrigation démarre au 1er contact, se conforte lors de l’installation des outils clé en main.
On renseigne les informations agronomiques de base (culture, nature de sol, profondeur, pente, orientation, …), hydrauliques (ressource, contraintes, état de l’installation) et humaines (accès à l’informatique, niveau technique …) C’est-à-dire le contexte dans lequel se fera le conseil individualisé à la parcelle.
L’informatique permet d’organiser ces données essentielles, mais rien ne remplace la visite terrain.
Après création du compte Web du producteur, il faut l’initier aux fonctionnalités des graphiques. Son addiction, notamment sur smartphone, est rapide. Mais pour que le contact soit opérationnel avec le client, rien ne remplacera la rencontre en face à face, préalable.
Le numérique automatise et optimise tout : enregistrement, transmission, présentation, mais c’est l’humain, qui par ses connaissances et son expérience permet une analyse fine et un conseil individualisé adapté à l’irrigant.
Partant de l’analyse de l’exploitation pour aboutir à équiper certaines parcelles de référence, puis de l’observation de ces parcelles pour instrumenter les 4 bulbes différents, et enfin du sol et de l’enracinement pour fixer un objectif de taille de bulbe.
En début de carrière, on avait tendance à placer les tensiomètres, puis les sondes Watermark, à une distance du goutteur, afin d’observer le bulbe en place.
Le terrain nous a appris à faire le contraire. Avec l’expérience, on fixe un objectif de taille de bulbe, on décide des distances entre goutteurs et sondes en conséquence, et on pilote l’irrigation pour façonner le bulbe demandé.
*La tensiométrie pour piloter les irrigations de CHOL Pierre, ISBÉRIE Carole, TRON Gérard. Collection : Références, Date d’édition : 28/02/2013